Article publié en 1976 dans la Revue Bois et Forêts des Tropiques, n° 168, p19 - (version .pdf - 1,16 M)

La plus importante réaction chimique de la terre

La photosynthèse (1)

par Louis Roussel
Le Pinus merkusii est une essence de lumière totale. Sur cette photo, le sujet surcimé dépérit et disparaîtra en quelques années. Cambodge.
Photo Robbe.

 

SUMMARY

OUR PLANET'S MOST IMPORTANT CHEMICAL REACTION - PHOTOSYNTHESIS

After a brief reference to the importance of photosynthesis, the author reviews the principal stages which led to modern ideas concerning the details of how this phenomenon occurs.

He then examines the structures of the foliar mechanism and its reactions to variations in environmental factors. Passing from the leaf to the tree, simple examples are given of the determination of relative compensation lighting and relative saturation lighting for certain forest species in a natural environment or under cultivation. Lastly, the author shows how the increase in standing timber in general can be linked with the quantity or light energy absorbed by treetops.


Il est à peu près admis, actuellement, que les végétaux pourvus de chlorophylle élaborent, sur l'ensemble du Globe, grâce à la lumière naturelle, au dioxyde de carbone atmosphérique, à l'eau et à quelques substances minérales, d'énormes quantités de matières, d'un tonnage infiniment supérieur à celui produit par toutes les activités industrielles humaines. Cette réaction est, actuellement, présentée de la façon suivante, qui tient compte, comme il sera exposé plus loin, du fait que l'oxygène, finalement rejeté, provient de la décomposition de l'eau du sol :


À vrai dire, étant donné la variété considérable des diverses formations végétales, et les grandes différences qui existent entre leurs activités photosynthétiques respectives, on a avancé, depuis une trentaine d'années, des chiffres assez dissemblables. En 1945, aux U. S. A., l'un des biochimistes qui ont contribué le plus efficacement à faire progresser les connaissances en ce domaine, RABINOWITCH, estimait la fixation annuelle du carbone atmosphérique à 155 milliards de t, pour les océans, et à 19 milliards de t, pour l'ensemble des terres émergées. D'où une synthèse théorique de polyholosides (du type amidon, cellulose, lignine, etc...) " de l'ordre" de 400 milliards de t par an, au total, mais avec une supériorité très marquée pour la photosynthèse des plantes marines. En 1964, KOBAK, excellent spécialiste de ces problèmes en U. R. S. S., réduisait sensiblement ce chiffre à environ 100 milliards de t de matières sèches, synthétisées chaque année, avec une supériorité très atténuée pour les plantes marines.

Lors du Colloque organisé par l'UNESCO, en 1969, sur la productivité des écosystèmes terrestres et marins, des conclusions différentes ont été avancées, étayées, semble-t-il, par des estimations bien plus nombreuses et bien plus précises que celles qui avaient conduit aux chiffres précédents. Ce sont les éléments les plus récents diffusés sur cet important problème : pour l'ensemble du Globe, la photosynthèse produirait, chaque année, environ 164 milliards de t de matières sèches, dont 55 pour les océans, et 109 pour les terres émergées (y compris les rivières, lacs, étangs, marais, etc... ). Les forêts tropicales interviendraient pour 40 milliards de t par an, les forêts tempérées, pour 23 milliards de t, les forêts boréales pour 10 milliards de t, les savanes pour le même tonnage, et les broussailles désertiques pour 1,3 milliard de t. L'accroissement, par hectare et par an, varierait ainsi de 0,7 t, dans le cas de ces dernières formations, à 20 t, pour les forêts tropicales humides (avec une " fourchette " de 10 à 50 t). Il s'agit, bien entendu, de la formation annuelle de la " biomasse " (troncs, branches et racines, avec leurs écorces, feuillages, semences, etc... ) ; la partie utilisable économiquement, selon les habitudes commerciales actuelles, ne représente guère que le 1/3 ou le 1/4 des tonnages ci-dessus. Quant à la proportion, effectivement exploitée, de cet accroissement, on sait qu'elle est encore très nettement inférieure.

En tout cas, ces chiffres récents mettent en évidence la relativement faible productivité des formations végétales marines, sur lesquelles on avait pourtant beaucoup compté (1,25 t par ha et par an, exception faite des estuaires et des régions côtières), et la grande supériorité des formations forestières, qui réaliseraient, à elles seules, la moitié de la production végétale de l'ensemble du Globe. On peut penser, bien entendu, que ces chiffres ne sont pas définitifs.

Quelles sont les idées actuelles sur les mécanismes intimes de ce phénomène primordial ? Comment est-on arrivé à nos conceptions modernes ? C'est ce qui va être exposé ci-après. On ne retiendra, du reste, que certaines des étapes, ou que quelques-uns des éléments qui auront semblé essentiels à l'auteur de cette analyse, mais qui, de toutes façons, ne représenteront qu'une faible partie de ce qu'il aurait fallu dire sur ce très vaste et très important sujet d'études et de réflexions. Au surplus, on parlera surtout des espèces forestières de l'Europe et de l'Amérique du Nord, qui sont étudiées depuis un certain nombre d'années ; l'extension de ces recherches aux espèces tropicales est bien plus récente, et loin d'être achevée.

 

LES DÉCOUVERTES FONDAMENTALES

UNE LONGUE COHORTE DE CHERCHEURS

Les prêtres de l'ancienne Egypte, au Moyen Empire, enseignaient déjà que c'était RA, le soleil, qui faisait croître les plantes et conditionnait toute la vie ; ceci près de quatorze siècles avant J.-C. Mais, un millénaire plus tard ARISTOTE, avec l'immense autorité qui s'était attachée à son nom, imposa ses vues de philosophe-naturaliste à de nombreuses générations de savants. Il affirmait, par exemple, que les végétaux se développaient grâce aux matières diverses digérées par le sol, devançant ainsi les futurs tenants de la " théorie de l'Humus ". Les feuilles vertes n'étaient que des ornements, ou, à la rigueur, des sortes de pare-soleil, et, pendant deux mille ans, parce qu'ARISTOTE " l'avait dit ", on ne chercha pas plus avant.

Et puis, brusquement, tout se mit à changer vers la fin du XVIIIe siècle ; en quelques décennies, des esprits perspicaces et observateurs : MALPIGHI, PRIESTLEY, LAVOISIER, INGEN HOUSE, SENEBIER, DE SAUSSURE... montrèrent que c'était la lumière solaire qui, grâce à l'eau et aux matières minérales du sol, ainsi qu'au gaz carbonique de l'air, provoquait, dans les feuilles des végétaux, la synthèse de toutes les substances qui leur permettaient de vivre, et de croître. Bien plus, ces mêmes végétaux rendaient l'air favorable à la vie des êtres animés, en y rejetant de l'oxygène (en le " dephlogistiquant ", pour reprendre l'expression des premiers savants de cette époque, d'intense remise en question des connaissances scientifiques). Tout paraissait alors assez net, et l'on pensa à ce moment qu'il n'y avait plus grand chose à découvrir de nouveau. Mais, d'éminents esprits restaient insatisfaits : LIEBIG, MAYER, BAEYER, SACHS, C. BERNARD, et toute une foule de chercheurs établirent, par la suite, que c'était la chlorophylle, à laquelle on avait peu prêté attention jusqu'alors, qui était l'agent principal de cette action, que l'on pouvait suspendre ses fonctions en anesthésiant les feuillages et que le volume de gaz carbonique absorbé était, d'abord voisin, puis égal, au volume de l'oxygène rejeté.


FIG. 1. - Formule développée de la chlorophylle a, selon J. Carles. Remarquer le groupement caractéristique (un atome de Mg entouré de 4 atomes de N, appartenant aux quatre noyaux pyrroliques, numérotés de I à IV).

 

Il y a à peu près un siècle, GRANDEAU, dans le cours d'Agriculture qu'il professait à l'Ecole Forestière de Nancy, soulignait l'importance " de cet acte fondamental de la vie des plantes ", accompli grâce à la chlorophylle (de composition encore inconnue en 1879), mais reconnaissait que l'on était dans la plus complète ignorance des détails des mécanismes de ce processus. Il soutenait fermement, du reste, les vues de LIEBIG, contre les idées de THAER, éminent porte-parole des tenants de la théorie de l'humus.


FIG. 2. - Le spectre d'absorption de la feuille, soumise à des radiations de différentes longueurs d'onde (pointes au voisinage de 440 et 680 nm), concorde assez bien avec le spectre d'action des mêmes radiations (caractérisé par les quantités de CO2 fixées, par une feuille identique, et dans des conditions énergétiques égales). Reproduit par A. Moyse (nm = 10-9 m).

 

Un demi-siècle plus tard, vers 1925, on était un peu plus avancé : BLACKMANN avait montré qu'à côté des réactions provoquées indiscutablement par la lumière, d'autres se poursuivaient très bien à l'obscurité. WILLSTAETTER & STOLL, et leurs émules, avaient proposé des formules chimiques pour les deux formes de chlorophylles découvertes, a et b. WURMSER avait commencé à déterminer les spectres d'absorption de ces chlorophylles en solution dans l'acétone et dans l'éther, ou bien telles qu'elles se présentaient dans des algues marines. Des expérimentateurs ingénieux, comme TIMIRIAZEFF, ENGELMAN, DANGEARD, et autres, montraient que c'étaient les radiations absorbées dans le bleu, et dans le rouge, qui étaient de beaucoup les plus actives pour stimuler ce que l'on appelait : l'assimilation chlorophyllienne. Mais, les mécanismes intimes étaient encore inconnus. Une théorie avait alors un certain succès : la synthèse des glucides (du type C6H12O6, comme le glucose) résultait de la jonction de 6 molécules d'aldéhyde formique (CH2O), formé, lui-même, d'une façon très simple : CO2 + H2O = CH2O +O2. Par perte d'une molécule d'eau, le glucose fournissait l'élément de base : C6H10O5, dont la réunion en longue chaîne donnait l'amidon, la cellulose, et autres polyholosides. Cependant la toxicité, bien connue, de l'aldéhyde formique, rendait cette hypothèse difficile à accepter par de nombreux botanistes ; c'est pour cette raison que MARQUENNE, à cette même époque, proposait d'admettre que la chlorophylle entrait en combinaison temporaire avec le gaz carbonique, ce qui écartait l'objection précédente.

Certains chercheurs, aux Etats-Unis, commençaient à employer des méthodes originales : EMERSON, par exemple, qui soumettait les végétaux à de brefs éclairs de lumière, afin de tenter de déterminer l'importance relative des réactions lumineuses, et obscures, dans le déroulement de ce que l'on commençait à appeler " la photosynthèse". En effet, jusqu'alors, on étudiait plutôt " l'assimilation chlorophyllienne ", la " décomposition du gaz carbonique ", ou " l'assimilation du carbone ".

 

LA FÉCONDE PÉRIODE AMÉRICAINE

Vers le milieu du XXe siècle, au moment où se préparait, puis se déclenchait la seconde guerre mondiale, dans leurs laboratoires, aux Etats-Unis surtout, les chercheurs poursuivaient l'étude de la photosynthèse, et les progrès considérables qui ont été réalisés récemment sont dus, pour une bonne part, à l'emploi de techniques très nouvelles :

- l'utilisation des "isotopes " (éléments chimiquement identiques, mais dissemblables par leurs propriétés radioactives, ou leurs masses atomiques) ;

- la " chromatographie ", dont on rappellera seulement qu'elle utilise la vitesse différente de déplacement sur un papier filtre de substances organiques complexes, selon leur nature, et selon le solvant employé.

C'est ainsi que RUBEN, en 1941, en utilisant un isotope lourd (mais non radioactif) de l'oxygène : 18O, montra, d'abord, que c'était l'eau, et non le gaz carbonique, qui fournissait ce gaz, indispensable à tous les êtres vivants.

La très complexe incorporation du gaz carbonique à la substance vivante de la plante fut suivie surtout en utilisant des isotopes radioactifs du carbone , d'abord, le 11C, d'un emploi difficile, car sa période (ou temps pendant lequel sa radioactivité est réduite de moitié) est brève et voisine de 20 mn. Puis, le 14C, bien plus stable, puisque sa période dépasse 5.700 ans. Les divers éléments, successivement synthétisés par les plantes (en général des algues marines, qui furent les plus utilisées), à qui l'on a fourni du dioxyde de carbone marqué au 14C, sont dissociés par la méthode de la chromatographie. Puis, le papier filtre qui les supporte est placé, à l'obscurité, contre une émulsion sensible aux rayons X (émis par le 14C), et les éléments dont l'on recherche la nature et la présence s'inscrivent d'eux mêmes, par "autoradiographie", sur l'émulsion. Ces procédés furent à l'origine d'une période d'intense activité pour les chercheurs des Etats-Unis : après RUBEN, HASSID et KAMEN, utilisant le 11C, ce fut l'équipe dirigée par CALVIN, avec BASSHAM, BENSON, MASSINI, WILSON notamment, qui grâce à l'emploi du 14C, contribua le plus efficacement à élucider, tout au moins en grande partie, le mécanisme intime de la photosynthèse. Le schéma qui résume leurs travaux est appelé, en général, " Cycle de CALVIN " (ou " Cycle de CALVIN-BASSHAM ") du nom de l'animateur de cette équipe qui reçut, en 1961, le prix Nobel de chimie.

Voici, du reste, comment CALVIN et BASSHAM analysent sommairement le mécanisme de la photosynthèse :

" L'eau est d'abord décomposée, par une réaction photolytique, en donnant un réducteur et un composé intermédiaire instable, qui libère l'oxygène ; ensuite, le réducteur sert à réduire le gaz carbonique, par une, ou plusieurs réactions obscures. " D'une façon assez laconique, ces auteurs indiquent que le réducteur est [H], et le composé qui libère l'oxygène [OH], selon le processus

2 [OH] --> 1/2 O2 + H2O


FIG. 3. - Schéma très simplifié du " Cycle de CALVIN ".

L'eau du sol (H2O) arrive, par les nervures, dans les cellules à chloroplastes (C55H72O5N4Mg = chlorophylle a + C40H56 = carotène + ...), soumises à un flux de photons. L'oxygène est rejeté par les stomates (O2) : l'adénosine diphosphate (ADP) est transformée en adénosine triphosphate (ATP), et le nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADP) est réduit en NADPH ; ATP et NADPH sont enrichis en énergie chimique.

En présence du ribulose diphosphate (RuDP), carbonaté par le gaz carbonique de l'air (CO2), pénétrant par les stomates, se forme l'acide phosphoglycérique à 3 atomes de carbone (APG), puis des sucres trioses phosphates (TP), puis des sucres hexoses phosphates (HP) qui, d'une part, donnent du saccharose (Cl2H22O11), base de la synthèse des glucides, d'autre part, avec les TP, et grâce à un nouvel apport d'ATP, reforment du RuDP, qui rentre dans le cycle. En outre, les TP donnent des acides aminés (du type alanine (C2H6-COOH-NH2)), base de la synthèse des protides, et également du glycérol (C3H5 (OH)3), base de la synthèse des lipides.

REMARQUE: Pour rendre le schéma plus concret, il a été situé dans une feuille coupée transversalement ; la photolyse de l'eau a lieu, très probablement, dans les cellules palissadiques situées dans la partie supérieure (la mieux éclairée) de la feuille. Mais, pour le surplus du " Cycle ", il ne faut absolument pas rechercher une quelconque localisation des diverses réactions.

 

En ce qui concerne l'énergie nécessaire à ces opérations, les photons (minuscules parcelles d'énergie qui, en nombre extrêmement grand, constituent le flux lumineux qui atteint les feuillages des végétaux), " excitent " des groupes de molécules de chlorophylle (associées en " antennes collectrices " et en " centres réactionnels "), en déplaçant certains de leurs électrons sur des orbites plus externes. Quand ces électrons reviennent sur les orbites primitives, ils libèrent une énergie chimique qui va se concentrer, temporairement, dans des sortes " d'accumulateurs ", molécules organiques complexes, caractérisées par la présence d'atomes de phosphore, et dont les formules détaillées ne seront pas données ici :

- l'ADP (adénosine diphosphate) qui se transforme en ATP (adénosine triphosphate) ;

- le NADP (nicotinamide adénine dinucléotide phosphate) qui se transforme en NADP H2 (forme réduite).

Tout n'est pas encore clair, dans ces problèmes de transfert d'énergie ; on a dit que la chlorophylle absorbait spécialement deux groupes de radiations : les radiations bleues, dont la longueur d'onde est voisine de 440 nm, et les radiations rouges, dont la longueur d'onde est voisine de 680 nm. Or, il semble que ce sont surtout ces dernières radiations qui joueraient un rôle important dans le mécanisme des transferts d'énergie : les premières interviendraient aussi, mais après avoir perdu, sous forme calorifique une partie de leur énergie primitive, et étant ramenées, ainsi, au niveau énergétique des secondes. Par ailleurs, la chlorophylle a, la mieux connue, n'est sans doute pas le seul pigment qui joue un rôle dans la photosynthèse : d'autres types de chlorophylles interviennent, et aussi les caroténoïdes (carotène et xantophylle). De toutes façons, on accorde actuellement une grande importance à deux groupes de pigments, le P680, et le P700, qui absorbent les radiations de 680 et de 700 nm, et constituent, dans les études théoriques de transferts d'énergie, les photosystèmes I et II.

Dans le " Cycle de CALVIN ", qui ne comprend pas moins de 14 réactions (nécessitant la présence de plus de 10 sortes d'enzymes) le premier produit synthétisé est l'acide phosphoglycérique (APG), a 3 atomes de carbone ; d'où le nom de végétaux en C3 donné aux plantes, extrêmement nombreuses, qui suivent ce cycle, et qui intéresse tout spécialement les sylviculteurs.

Assez récemment, cependant, KORTSCHAK, HARRT et BURR, puis HATCH et SLACK, faisaient connaître (1965-1970) que certaines graminées tropicales (le maïs et le sorgho, par exemple) utilisaient une voie différente : le premier produit élaboré était un oxaloacétate (comprenant 4 atomes de carbone). Après quelques hésitations et quelques vérifications, le cycle en C4 a été admis ; les végétaux qui s'y conforment représenteraient environ 180 espèces appartenant pour une bonne part à la famille des Graminées. À première vue, ce type de plante n'intéresse pas, directement, les forestiers.

Enfin, certaines plantes grasses (des Crassulacées) fixent, de nuit, le dioxyde de carbone atmosphérique, pour l'utiliser, pendant le jour à leur photosynthèse.

Si l'on compare l'activité photosynthétique des plantes en C3 avec celle des plantes en C4, on peut remarquer que les premières s'arrêtent d'assimiler le carbone, quand la teneur de l'atmosphère, en dioxyde de carbone (normalement voisine de 0,03 %), descend au-dessous de 0,005 %, alors que les secondes continuent à fonctionner jusqu'à une teneur de l'ordre de 0,001 %. Par ailleurs, les plantes en C3 n'assimilent, dans les meilleures conditions, que la moitié environ du carbone retenu, dans les mêmes conditions, par les plantes en C4.

On a surtout parlé, jusqu'ici, de la seule photosynthèse, au sens strict du terme, c'est-à-dire de l'acte par lequel le végétal se nourrit, comme il a été dit, grâce à la lumière, au dioxyde de carbone atmosphérique, à l'eau et à quelques matières minérales du sol. Or, actuellement, on étend parfois cette étude à la respiration, obscure, ou bien stimulée également par la lumière, et que l'on nomme alors " photorespiration " ; il s'agit, dans ce cas, des fonctions par lesquelles le végétal réutilise les substances provenant de la photosynthèse qui, oxydées grâce à l'oxygène atmosphérique, lui permettront de satisfaire ses besoins énergétiques. Ce genre d'étude, très intéressant en lui-même, sort nettement du cadre, obligatoirement, restreint, de cette analyse.

 

LA FEUILLE, MAITRE D'OEUVRE DE LA PHOTOSYNTHÈSE

STRUCTURE DE LA MACHINERIE VÉGÉTALE

Bien que l'on ait décelé une activité photosynthétique dans toutes les parties vertes des végétaux (jeunes tiges comprises), c'est, évidemment, la feuille qui est l'organe de beaucoup le plus important pour l'accomplissement de cette fonction essentielle. On ne s'étendra pas sur leur description détaillée : qu'il s'agisse des aiguilles des résineux, ou bien parfois des écailles, soudées aux rameaux des Cyprès, ou, au contraire, des feuilles plus ou moins largement étalées des arbres dits feuillus, elles ont toutes le même rôle, et l'on y discerne toujours un certain nombre de régions principales : une assise de cellules externes, l'épiderme, au-dessous, des cellules renfermant la chlorophylle, souvent de forme allongée, ou palissadique, mais aussi sans grande différenciation parfois avec la forme de leurs voisines. Enfin des cellules collectrices qui recueillent les produits élaborés dans les cellules à chlorophylle et les conduisent vers les nervures qui évacuent lesdits produits vers l'axe central. De minuscules ouvertures, ou stomates, localisées, en général, sur la face inférieure des feuilles des arbres feuillus, ou bien sur l'ensemble du pourtour des aiguilles des arbres résineux, permettent au dioxyde de carbone de pénétrer dans la machinerie végétale, à l'oxygène et à l'eau de transpiration d'en sortir. À côté des stomates, cependant, il est de nombreux cas où les mouvements de l'eau et des gaz se font, d'une façon le plus souvent réduite, au travers de l'épiderme lui-même, recouvert d'une cuticule de protection plus ou moins épaisse, et plus ou moins étanche.

La structure des feuilles dépend, assez fréquemment, des conditions microclimatiques sous lesquelles elles se sont développées ; pour les sujets du genre Quercus, des études anatomiques nombreuses ont été effectuées, en particulier à l'Institut Botanique de Besançon (TRONCHET, GRANDGIRARD, GIBOUDEAU, GOGUELY), en liaison avec le Service forestier local. Par exemple, pour Q. pedunculata, l'épaisseur de la feuille augmente régulièrement, de 100 µ environ, quand le sujet s'est développé sous un couvert assez dense, jusqu'à 170 µ environ, pour le sujet développé en plein découvert ; la cuticule supérieure, qui protège la feuille contre l'excès de radiations, présente, dans les mêmes conditions, un triplement d'épaisseur (2,4 µ à 6,4 µ). Les cellules palissadiques, renfermant la majorité de la chlorophylle, doublent de longueur (24,5 µ à 54 µ) ; le tissu lacuneux, où circulent les substances diverses, gazeuses ou liquides, voit son épaisseur passer de 40 à 74 µ. Le nombre des stomates, par lesquels se font les échanges avec le milieu extérieur, augmente sensiblement, quand le sujet passe de l'ombre assez dense (200 stomates au mm2) à la pleine lumière (400 stomates au mm2) . Grâce à la technique délicate des coupes faites parallèlement à la surface des feuilles, on a pu montrer que le volume des cellules palissadiques (où se déroule l'essentiel des réactions de la photosynthèse), est triplé quand le sujet passe de l'ombre à la pleine lumière.

FIG. 4. - Anatomie simplifiée de la feuille de chêne pédonculé.

1. - Bouquet de feuilles de chêne pédonculé (Quercus pedunculata).
2. - Coupe transversale d'une feuille développée à la lumière. De haut en bas : cuticule et épiderme, cellules palissadiques allongées renfermant de nombreux chloroplastes, cellules collectrices, chambres sous-stomatiques et stomates, dans l'épiderme inférieur.
3. - Un chloroplaste partiellement ouvert, laissant voir les grana, baignant dans le stroma filamenteux.
4. - Une pile de grana, sortes de disques unis par des filaments, et renfermant la chlorophylle.
5. - Coupe perpendiculaire à la surface des grana, laissant voir leur structure intime.
6. - Même coupe agrandie : la partie hachurée représente une association de molécules de protéine, les petits traits verticaux, des molécules de lipides, et les petits traits verticaux surmontés d'un petit plateau, des groupes de molécules de chlorophylle réunies en antennes collectrices de lumière et en centres réactionnels.

Echelles des dessins : µ = 10-6 m ; Å = 10-10 m (d'après des dessins de A. GRANDGIRARD, J. DE ROSNAY, J. A. BASSHAM et M. CALVIN).


Pour les résineux, diverses études ont déjà été effectuées ; dans le cas de Picea excelsa, par exemple, si l'aiguille du sujet développé à l'ombre dense (environ 3 % d'éclairement relatif) a une section peu inférieure à celle du sujet développé en pleine lumière (les 5/6 environ de celle-ci), la cuticule est nettement plus développée chez ce dernier sujet (épaisseur de 3 µ, contre 1 µ environ pour le sujet d'ombre). Les cellules de l'épiderme ont des membranes un peu plus minces chez le sujet d'ombre ; on ne distingue pas, chez cette espèce, de parenchyme palissadique chlorophyllien individualisé, comme chez les feuillus, mais plusieurs couches concentriques de parenchyme lacuneux, qui renferment la chlorophylle. La densité des stomates varie assez peu et reste "  de l'ordre " de 50 au mm2, chiffre nettement inférieur à celui observé, en général, chez les arbres feuillus. AUSSENAC a trouvé, sur divers sujets des genres Abies, Pseudotsuga et Picea, des différences plus marquées entre les aiguilles d'ombre et les aiguilles de lumière, dans le sens indiqué plus haut pour les arbres feuillus. La surface des stomates, élément important, a été étudiée à Innsbruck. Ce genre de recherche est relativement encore peu développé, bien qu'il constitue, cependant, une approche pratique des problèmes de la photosynthèse des espèces forestières.

La chlorophylle est localisée dans les chloroplastes, sortes de corpuscules en général lenticulaires, répartis dans le cytoplasme des cellules palissadiques, chez les arbres feuillus, comme les chênes, ou bien dans le parenchyme lacuneux, comme chez de nombreux résineux, parfois aussi autour des vaisseaux externes. Selon BOURDU leur nombre est très variable (de 5 à 500 par exemple, dans une seule cellule selon les espèces) ; leur volume est également variable, de 30 à 300 µ3). Chaque chloroplaste est constitué d'une double membrane périphérique, entourant une sorte de gelée, le stroma, dans laquelle sont placés des empilements de disques accolés, les grana. C'est dans ces grana que sont disposées, en associations distinctes (antennes collectrices et centres réactionnels), les molécules de chlorophylle.

 

INFLUENCE DES VARIATIONS DES FACTEURS DU MILIEU SUR L'ACTIVITÉ PHOTOSYNTHÉTIQUE DES FEUILLES

La façon dont les feuilles réagissent, en ce qui concerne leur activité photosynthétique, est étudiée, en général, dans des appareils à absorption de rayonnement infrarouge (URAS dans les pays de langue germanique et IRGA, dans ceux de langue anglaise). Bien entendu, on peut faire intervenir de très nombreux facteurs, soit simultanément, soit en séquence, et se placer, parfois, dans des conditions que les végétaux ne rencontrent pas, pratiquement, dans le milieu naturel. C'est le cas, par exemple, des variations artificielles dans la teneur, en dioxyde de carbone, de l'air que l'on envoie dans ces appareils. On peut, par exemple, montrer facilement que la plupart des arbres, résineux et feuillus, habitués à une atmosphère contenant, en moyenne, 0,03 % de dioxyde de carbone, assimilent davantage quand cette teneur augmente, jusqu'à 0,3 % environ. Ceci, sans dommage apparent pour les végétaux en expérience. Si l'on augmente encore la teneur de l'air en dioxyde de carbone, on obtient souvent une majoration de l'assimilation carbonée, mais, cette fois, avec quelques signes de fatigue, des nécroses, etc... Cependant, en restant dans des limites assez strictes, on doit pouvoir améliorer nettement la croissance des jeunes sujets en expérience, et ainsi, gagner un ou deux ans dans l'obtention de plants utilisables pour les boisements. Mais, c'est surtout l'influence de la lumière et de la température, sur l'activité photosynthétique des feuilles et des aiguilles, qui a été le mieux analysée, tout spécialement, d'abord, à l'Institut Botanique d'Innsbruck et au Phytotron du Patscherkofel, en Autriche. Sous la direction du Professeur PISEK, des chercheurs perspicaces comme TRANQUILLINI, WINKLER, LARCHER et leurs collaborateurs ont accumulé les observations, et ce qui est trouvé actuellement ne fait souvent que confirmer des résultats publiés dès les années 1950.

Les observations ont porté sur la photosynthèse nette, telle qu'elle est analysée dans les appareils mentionnés plus haut : les chiffres correspondent aux quantités de carbone effectivement fixé par la feuille. Pour les études de physiologie végétale plus développées, on recherche la photosynthèse brute, en ajoutant aux chiffres obtenus ci-dessus, la respiration obscure (nocturne, dans le milieu naturel) et la photorespiration, plus délicate à déterminer, qui se produit pendant le jour.


FIG. 5. - L'URAS (ou IRGA), dont l'emploi se généralise, est un appareil très important pour étudier, du point de vue pratique, les réactions des feuillages aux variations de la lumière et de la température, principalement. Les rameaux à observer, alimentés en eau pendant le temps de l'expérience, sont placés dans les cuvettes transparentes (photosynthèse nette), ou opaques (respiration obscure). L'éclairement vient de la partie supérieure et peut atteindre 50.000 lux ; la lumière est de composition voisine de celle de la lumière naturelle. La température des chambres ou cuvettes est réglée grâce à un système de circulation d'eau, avec thermorégulation. L'air extérieur entre par la partie gauche (pompes) et circule autour des rameaux, puis, plus ou moins appauvri en CO2 (dans les cuvettes transparentes), ou enrichi en CO2 (dans les chambres opaques), passe dans un analyseur à rayons infrarouges (partie inférieure du dessin), qui constitue l'URAS proprement dit. Les indications relatives à l'enrichissement, ou à l'appauvrissement de l'air en CO2 sont inscrites sur des graphiques (bas du dessin, à gauche). La précision admise est de l'ordre de ± 3 %.

 

Khaya ivorensis. Plantation de Ngolon de 6 ans
bien éclairée par la route. Cameroun, 1957.
Photo Sarlin.

 

Le premier élément qui ressort de ces observations est que la photosynthèse nette la plus élevée est obtenue, sous chaque éclairement, pour une température des feuilles (ou des aiguilles) bien déterminée, et qui augmente légèrement quand les éclairements s'accroissent. La température trop basse ne permet pas aux cellules à chlorophylle de fonctionner dans de bonnes conditions ; la température trop élevée accentue les processus respiratoires, qui réutilisent partiellement, et immédiatement, les substances élaborées par la photosynthèse. Le végétal, grâce à la transpiration (voir Bois et Forêts des Tropiques, n° 146) peut lutter contre un échauffement excessif de ses feuilles (ou de ses aiguilles), et, dans les meilleures conditions, se rapprocher des conditions optimales de température, propres du reste à chaque espèce, et à chaque éclairement.

Le second élément, qui intéresse plus spécialement les sylviculteurs, est que, dans une fourchette de températures, pas trop éloignées de l'optimum défini plus haut, l'intensité de la lumière règle, d'une façon très efficace, la marche de la photosynthèse ; mais cette influence favorable est plus marquée aux éclairements faibles et moyens, qu'aux éclairements élevés. C'est ce que l'on exprime en disant que " le coefficient d'utilisation de la lumière diminue quand l'intensité de l'éclairement s'accroît ", et l'on arrive, plus ou moins tôt, à un " palier de saturation ". Par ailleurs, on a décrit précédemment les modifications de structure que subissent les feuillages, selon qu'ils se seront développés sous des couverts plus ou moins denses, dans des trouées, ou bien, en plein éclairement ; or, l'activité photosynthétique de ces feuillages n'est pas la même, en conditions microclimatiques égales, les feuilles d'ombre ayant, en général, une faculté d'assimilation du carbone plus élevée, aux faibles éclairements, que les feuilles de lumière.


FIG. 6. - Courbes obtenues grâce à un appareil URAS, pour des rameaux d'épicéa commun (Picea excelsa), développé autour de 600 m d'altitude. La photosynthèse nette, par unité de poids, augmente avec l'intensité de l'éclairement, mais, dans chaque cas, le maximum n'est atteint qu'au voisinage d'une température des aiguilles bien déterminée (à quelques degrés près, évidemment). Même sous un éclairement assez élevé (30.000 lux), le rameau d'ombre assimile davantage que le rameau de lumière. Observations faites à Innsbruck par Pisek et Winkler.

La courbe " respiration obscure ", obtenue dans les chambres opaques, ne représente que la respiration nocturne ; la respiration diurne, ou photorespiration, est plus élevée.




FIG. 7. - Courbes obtenues grâce à un appareil URAS, pour des rameaux de Picea excelsa, et de Fagus silvatica, se développant vers 600 m d'altitude. Influence de l'intensité de l'éclairement sur l'activité photosynthétique nette des aiguilles et des feuilles, dans une fourchette de températures normales en été.

Pour les organes foliacés d'ombre, et de lumière, le " coefficient d'utilisation de la lumière ", qui peut être matérialisé par tg alpha.e, et tg alpha.h., diminue constamment quand l'éclairement s'accroît. Réserves d'usage en ce qui concerne les chiffres des résineux, par unité de surface, probablement ici un peu sous-estimés.

D'après PISEK et WINKLER pour Picea, et LARCHER et RETTER, pour Fagus.

 

Il est à noter aussi que l'on peut rencontrer, dans les mêmes stations, des espèces à feuillages caducs, et d'autres à feuillages persistants. Dans les régions où ces espèces ont pu être étudiées de façon précise, on observe que l'activité photosynthétique est plus élevée, pour les premières, que pour les secondes. Il semble que les végétaux, dont les feuillages ne " travaillent " pas très longtemps dans une année, mettent, en quelque sorte, les bouchées doubles, de façon a ne pas être trop distancés par leurs concurrents immédiats (exemples : Larix europea en présence de Picea excelsa, et Quercus pubescens en présence de Quercus ilex selon les travaux de LARCHER). Pour préciser un peu ce qui vient d'être dit au sujet de l'activité photosynthétique des feuilles et des aiguilles, on donnera ci-après quelques chiffres, exprimés en milligrammes de dioxyde de carbone assimilé par heure, pour un gramme d'aiguilles ou de feuilles sèches, ou bien par décimètre carré de feuillage. Une remarque importante est à faire sur ce dernier point : pour des arbres feuillus, dont les feuilles sont très minces, par rapport à leur surface, il n'y a aucune difficulté à mesurer celle-ci : c'est l'élément " simple face " qui figure dans de nombreux tableaux relatifs à la photosynthèse des feuillages. Par contre, pour les aiguilles de résineux, comme leur section va de l'ellipse plus ou moins allongée, au losange, ou au cercle, on a dû adopter comme convention de considérer, comme simple face, la moitié de leur surface totale. Or, du point de vue énergétique, la surface réelle qui entre en ligne de compte est celle qui intercepte, effectivement, le rayonnement naturel ; suivant donc la forme des aiguilles, on attribue fictivement, à une surface conventionnelle, une activité photosynthétique réalisée par une surface réelle, en général inférieure. Il arrive donc assez souvent que l'activité photosynthétique des aiguilles, formulée par unité de surface conventionnelle, soit plus faible que leur activité réelle, par unité de surface éclairée.

REMARQUES: On trouve, dans les tableaux de W. LARCHER, de multiples autres indications, celles des " points de compensation ", par exemple, c'est-à-dire des éclairements les plus bas (en général de quelques centaines de lux) à partir desquels la plante fixe plus de carbone, par la photosynthèse, qu'elle n'en perd par la respiration. Au-dessous, la plante meurt rapidement par inanition énergétique. Bien d'autres végétaux ligneux sont cités. D'une façon générale, on ne relève pas une différence très marquée entre la photosynthèse maximale des arbres des régions tempérées, et celle des arbres des régions tropicales ou équatoriales. Il faut aussi noter que les méthodes de travail ne sont pas encore entièrement uniformisées, d'où les nombreux vides qui existent dans ces tableaux.

 

ACTIVITÉ PHOTOSYNTHÉTIQUE COMPARÉE DES FEUILLAGES DE DIVERSES ESPÈCES LIGNEUSES
(Chiffres réunis par W. LARCHER, 1969)